L'Attention Consciente"La Danse de l'Instant "...

Conteur

Il était conteur. Pendant des années il avait raconté des histoires. Toutes sortes d'histoires. Des histoires drôles, mélancoliques, tristes, romantiques, mystérieuses, sauvages, extraordinaires, cela dépendait à chaque fois de comment il entendait les choses.

Les histoires s'inventent bien sûr, mais elles s'inventent parce qu'on les entend. Pour inventer il faut être à l'écoute, donc pour raconter il faut d'abord se taire, faire silence, entendre et retransmettre.

Il y a autant d'histoires qu'il y a de façons d'entendre, comme il y a autant de tableaux qu'il y a de façons de voir, comme autant de façons de saisir, d'exprimer, de dire...

 

Justement il n'avait plus rien à dire, plus d'histoires à raconter. Il pouvait répéter, redire, mais il ne l'entendait pas ainsi, ou plus ainsi...

En fait ce n'est pas vraiment qu'il n'entendait plus rien, il entendait le silence, et comment dire le silence?... Il ne savait pas. D'autant que ce silence qu'il percevait n'était pas vide, c'était un espace plein, un vide-plein, un silence riche et éloquent.

Alors il se taisait...

 

C'était une drôle d'histoire, une histoire étrange, étrange parce qu'en même temps familière, une histoire comme il n'en avait jamais raconté, comme il n'en avait jamais rencontré. C'était une vraie rencontre, une rencontre vraie, une histoire sans histoire, cela avait un sens, mais ni commencement ni fin, une présence ininterrompue, sans passé ni futur, sans bon ni méchant, sans morale ni jugement.

C'était une révélation permanente, rien ne se situait ni avant ni après. C'était juste là, en soi. Un en-soi qui ne demandait rien, qui se donnait, un en-soi qui est tel qu'il est.

 

Rien d'autre que cela, et cela emplissait tout. Tout y était contenu, y compris le conteur qui ne comptait plus. Il était dedans, il n'en était pas séparé, il ne pouvait pas se placer au dehors car rien ne pouvait se situer à l'extérieur de cette histoire sans histoire qu'il se sentait lui-même comme toutes choses.

Il ne pouvait ni en être le conteur ni le spectateur ou l'auditeur, il ne pouvait qu'en être le témoin, un témoin sans qualité, il ne pouvait qu'être. Rien de particulier ne se rattachait à lui, pas même l'idée ou le sentiment d'être lui.

Il était! Oui! bien sûr! De cela il était sûr, il était, mais ni quelqu'un ni quelque chose. Il était, tout simplement, rien ne sortait de là.

 

Il était cette existence, il était l'existence même dont il était le témoin, dont tout est témoin. Dont tout témoignait au même moment dans cette infinie présence.

Il n'y avait pas non plus de lieu particulier, c'était là, ici, tout était le lieu de cette présence, de cet être là, de cette présence là.

Nulle place où s'arrêter, nulle part où aller, nul endroit où se reposer.

 

C'était inimaginable, indescriptible, inénarrable, indicible!... Et pourtant c'était là, réellement là, vraiment là, indéniable! Incontournable comme une évidence retrouvée, indiscutable.

Un engouffrement dans le vivant, dans l'existence elle-même se déroulant.

Pure ivresse!

 

Une heure infinie, sans minute ni seconde, sans bonheur ni malheur, un heure une, une heure totale. Il était l'heur d'être cette heure, l'huis d'être cet huis.

Un secret se gardant lui-même, lui-même étant ce secret et ce gardien, se secrètement, cette sécrétion, cette révélation qu'il ne pouvait pas révéler, qu'il ne pouvait pas conter.

 

Il ne pouvait que le vivre, il ne pouvait qu'être vivant. Il ne pouvait pas en être autrement. Il voyait que cela avait toujours été ainsi et le serait à jamais.

Il savait qu'il avait toujours été ce témoin, ce témoignage, cette présence, cette essence. Il savait qu'il avait inventé tout cela, ce conteur, ces histoires sans fin pour le seul plaisir du jeu, de la joie.

 

Il su qu'il n'était qu'être, que rien d'autre que l'être n'est.
Il se su présence, silence, source vierge et vive d'où tout jaillissait.
Il était ce jaillissement, ces écumes, ces folles arabesques du vivant, cet Océan.

 

Il était, pendant des siècles et des siècles il avait inventé des histoires. Toutes sortes d'histoires. Pour des siècles et des siècles il inventerait des histoires, parce qu'il était l'Invention, parce qu'il était l'Histoire, parce que c'est sa nature même, parce que c'est la Nature même s'inventant elle-même, parce qu'il est l'Etant même, parce qu'il est le Trésor caché, l'Existence, la VIE.

 

Il était l'Inscription s'inscrivant, un simple déroulement, comme une figure libre, comme un nuage parmi les nuages dans le ciel immaculé, comme un souffle qui passe, comme un vol d'oiseau qui ne laisse aucune trace, rien ne s'était passé. Il n'était jamais sorti de sa demeure et n'en sortirait jamais. Il n'avait plus d'histoire à raconter.

 

Seule l'Histoire se racontait...

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