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"La Danse de l'Instant "...

LE LOTUS

 

Au sortir de la jungle qu'il parcourait depuis de longues années, Selrach déboucha sur une clairière si vaste qu'on n'en pouvait voir les limites. Dans cet espace dégagé se dressait un monument ancien qui semblait abandonné. Selrach s'approcha à pas mesurés, de l'eau entourait le vieux temple, une passerelle sautait la douve profonde.

Il l'emprunta avec précaution, ses pieds sondaient la solidité de chaque appui, tout son corps en alerte. Enfin parvenu de l'autre côté, Selrach resta un long moment sur le parvis du temple qu'il découvrait...

Nulle porte n'en barrait l'entrée, et le seuil en était libre. Il se tenait là, debout dans la lumière du matin, immobile. Tout en lui était silencieux.

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Autour de lui il entendait la bruissance incessante du monde de la nature, oiseaux, insectes et autres animaux, marchants, grouillants ou rampants. Au loin il percevait parfois des sons qui ressemblaient à des éclats de voix ou de rires humains.

Il sentait en lui ce flux de vie, le sang dans ses veines et artères, son coeur qui battait dans sa poitrine, ces pulsations profondes dans tout son corps, en ses lieux secrets, ces passages qui se faisaient, de la plante de ses pieds, posés sur le sol, jusqu'au sommet de son crâne. Tout était vivant, tout manifestait la vie.

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Il respirait doucement, amplement, libre. Il ouvrit ses bras et inclina son buste en signe de reconnaissance et de gratitude pour être là, simplement vivant, palpitant, comme tout l'univers auquel il se savait participer dans la magie de l'instant.

Il s'avança alors vers le seuil, lentement, le porche du temple s'ouvrait devant lui, de plus en plus grand, prêt à l'accueillir dans la pénombre des entrailles de l'édifice.

Il s'arrêta sur le seuil et s'inclina de nouveau, comme par respect, par déférence devant quelque chose de plus grand que lui. Il resta à cet endroit un long moment, puis, enfin, il pénétra à l'intérieur.

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Il ressentait la fraîcheur et la paix du lieu abandonné par le tumulte des hommes.

Seuls son instinct et son intuition le guidaient, ici plus rien n'était raisonnable ou rationalisable. Il était mû par une force intelligible, une force intelligente qui le poussait ou l'appelait à avancer davantage, une conscience enfouie en lui au plus profond de son être qui se révélait, qui dirigeait ses pas vers le centre.

Plus aucune image, plus aucune idole, plus aucun ornement ne décoraient les murs du vieux temple. C'était comme si le temps avait effacé ses marques. Les signes extérieurs des anciens cultes et rites passés s'étaient comme désagrégés par inconsistance, par abandon, sables mouvants, glissants sur le tamis de l'univers...

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Seule une lumière diffuse le conduisait. Sa marche lente s'arrêta soudain. Il ne sentait plus le besoin d'avancer.

Il baissa les yeux vers le sol, il s'aperçut alors qu'il se tenait exactement au centre d'un cercle de mosaïque dont le contour au coloris fané était teinté de rouge ou de pourpre. Sous ses pieds il devina un cercle plus petit qui ressemblait à un oeil ouvert vers le ciel..

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Il leva alors la tête et vit un dôme au-dessus de lui, un dôme dont la clé de voûte avait été travaillée de telle sorte qu'elle laissait, en regard de l'oeil ouvert sur la mosaïque, un oeil ouvert infiniment sur le ciel d'où se déversait un flot de lumière.

Cette lumière, jusque là diffuse, l'avait guidé en ce lieu, et maintenant le baignait de sa clarté, douce comme une caresse, douce chaude et vive comme le lait de la mère qui allaite son enfant, qui l'abreuve de son amour...

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Selrach ouvrit ses bras à nouveau et leva ses paumes vers le ciel, comme en remerciement, jusqu'à ce que ses mains se rejoignent au-dessus de sa tête pour former une coupe, qu'il porta à ses lèvres pour boire ce breuvage, immortel, et se désaltérer d'éternité...

Il était ivre, ivre d'une paix à la fois étrange et connue, comme une mémoire resurgie en lui de l'océan de ses profondeurs, lame de fond et raz de marée, aspiration et déferlement, à la fois intérieur et extérieur, à la fois antérieur et postérieur, à la fois lui, et non-lui.

Il était ivre, ivre de bonheur, d'un pur bonheur, d'une joie indicible, d'une paix sans nom...

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Un son s'éleva dans le silence. Il prononça dans son coeur le Nom sacré de l'Etre qui vibrait en lui, enfin reconnu, enfin retrouvé, enfin unifié.

Il n'avait plus rien à dire, plus rien à faire, il s'assit là, à cette place, au centre de lui-même et de ce cercle rouge inscrit sur le sol, ce lieu qu'il avait tant cherché dans la boue de sa vie, ses jambes repliées enfin dociles, ses mains jointes enfin réunies, sa colonne enfin droite, axe vertical.

Il sentit soudain un parfum l'envahir, un parfum léger et subtil, à peine perceptible, discret comme celui d'une fleur fragile... A chaque inspiration il le retrouvait en lui, à chaque expiration il lui échappait...

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Enfin, tout s'arrêta. Il avait trouvé... Ce parfum, cette pose,
cette fleur, c'était lui-même... C'était le lotus.

Un à un ses pétales s'ouvrirent vers le ciel...

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Quelque temps plus tard, des enfants d'un village voisin vinrent jouer dans le temple. Ils n'y trouvèrent pas Selrach, seule restait la lumière diffuse et quelques pétales épars sur le sol...

Les vents et les jeux des hommes auront tôt fait de les disperser, aucune trace de ce passage ne subsisterait, poussières retournant à la poussière, lumières retournant à la lumière...

Ainsi s'acheva la vie de l'homme connu sous le nom de Selrach.

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Non loin de là, ô mieux aimée, un homme nouveau vint s'installer dans une petite bourgade où il vécut simplement et en paix le reste de son existence. Il aimait les gens comme des fleurs fragiles, comme ces fleurs de lotus qui émergent, d'un fond de boues et de vases, des eaux dormantes.

Je le rencontrais un jour, lors d'un de mes nombreux voyages, et passais de longues heures en sa compagnie, durant lesquelles il me racontait sa vie. Me sachant conteur et adorant son histoire merveilleuse, il me demanda simplement, par précaution ou pudeur, de ne pas dévoiler son nom ni le lieu où il avait choisi de demeurer...

C'est ainsi, chargé de ces notes précieuses que je pris, non sans émotion, congé de lui et que je revins vers toi, ô mieux aimée, avec le baume de sa bénédiction et ce parfum, si discret et subtil, de la fleur de lotus.

Puisses-tu, toi aussi, qui écoutes, en éprouver les vertus, ce serait comme un parfum d'amour, que je ne saurais mieux t'exprimer...

Alors... Respire mieux-aimé(e)...

Respire !...

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« Comme un lotus pur, admirable, par les eaux n'est point souillé,
Je ne suis pas souillé par le monde. »

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