L'Attention Consciente"La Danse de l'Instant "...

Après la Chute.

 

L'écume jaillit sous l'impact du choc du corps, et les eaux l'engloutirent. Comme une pierre tombée du ciel Icare avait chu. Monté trop vite, trop près du feu du soleil, sa jeunesse, ses ailes de plume et de cire avaient fondu.

Les bons conseils de modération et de prudence de Dédale n'avaient servi à rien. Il n'avait pas écouté « Ne t'approche pas trop du soleil, sa chaleur ferait fondre tes ailes, ne t'approches pas trop de la mer, son humidité alourdirait tes ailes, reste au milieu ».

Icare s'était grisé de sa liberté nouvelle, il avait voulu explorer ses limites, faire sa propre expérience.

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Le vertige des hauteurs éternelles s'était transformé en vertige des abysses éternels, le haut et le bas s'étaient rejoints dans le choc des contraires, l'allégresse de l'ivresse était devenue détresse sans fond.

Un puits de ténèbres succédait au cône de lumières. Il avait vu la clarté, maintenant il lui fallait découvrir l'ombre. On n'épouse pas la lumière impunément, il faut payer la dot de la fiancée.

Le travail commençait. Corps disloqué, esprit disloqué. Il lui fallait réunir, reconstruire, et déjà il devait survivre aux eaux qui le submergeaient.

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Mille et un jours, mille et une nuits, mille et un reflets, mille et une images, que s'était-il passé ? Que se passait-il? Que se passerait-il ? Il ne savait pas, il ne savait plus et il savait tout cela, mais il ne pouvait pas le dire, même à lui-même, les mots n'allaient pas jusque là, ils s'arrêtaient sur le seuil, après leur pouvoir était vain.

Il allait devoir apprendre un nouveau langage, il allait devoir apprendre à se taire, se taire pour exprimer le silence du plein face aux paroles du vide. Vide, il était vide, coquille vide, forteresse vide, univers vide impossible à remplir car ce vide était déjà plein, Plénitude.

Il ne pouvait rien faire, il ne pouvait être que ce qui était déjà, qui est et qui sera, il ne pouvait qu'être.

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L'envol avait rencontré la chute, le néant du passé avait rencontré le néant du futur, seul restait l'inconnu du présent, voie étroite entre les deux monstres tentateurs de ce qui fut et de ce qui sera. Les gardiens du Seuil se tenaient là, prêts à le dévorer à la première bouchée, à la première pensée qu'il leur offrirait. Ils étaient insatiables et lui vacillant, il devait apprendre à marcher dans le mouvement du présent, larguer l'amarre du passé sans autre but que lui-même, sans attente d'un résultat escompté, il était lui-même le projet de la vie. Rien d'autre.

Il devait apprendre la nature même de la marche, la nature même de lui-même, son essence la plus simple, sa marche propre, son noyau le plus intime. Intime! L'ordre était là, intimé au plus profond de son être « Sois ce que tu es, que tu as toujours été, que tu seras toujours ». Conscience pure.

Il devait épurer, se fondre, brûler dans son creuset propre, calciner les scories, réduire les résidus de sa gangue en cendres, écumer les impuretés du magma, de la fusion des éléments séparés dans le choc originel, dans le chaos des origines.

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Tout était là, Tout est là, Toujours, il le savait, il l'avait reconnu et connu en cet instant unique où il s'était vu, nu, Un, tous voiles écartés, toutes voiles dehors, il était retourné à la Source, ou plutôt, il s'était juste arrêté dans sa course, dans sa fuite éperdue de lui-même vers la liberté, et les cieux s'étaient ouverts, s'étaient offerts à lui.

Lui, Source de sa source, lui, Source de lui-même, comme uni, comme unique, comme Un, non-séparé, Totalité et Néant, Vide et Plein, Lumière et Obscurité...

Il avait vu l'illusion de ce moi séparé de ce I comme Icare, illusion de l'illusion elle-même, Réel dévoilé, l'immuable dégagé de sa gangue de matière solide, fluide et Fluide, Flux de toute vie, Source inépuisable qu'il se savait lui-même, Soleil consumant les apparences, les rassurances matérielles, décertifiant les certitudes laborieuses...

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Soleil irradié, Soleil irradiant, cire perdue, cire fondue, plumes éparpillées aux vents, matière lourde, fardeau de chair, il avait chu.

Il avait chu car il fallait choir, déposer ce fardeau, le vieux temple avait été détruit en un éclair, désormais il lui fallait reconstruire et honorer le nouveau, mais il lui fallait d'abord débarrasser les ruines, enlever les décombres, toutes ces peaux, ces peurs, ces voiles qui obscurcissaient sa vue, son entendement, son goût, son toucher, son senti, son sentier, sa marche, sa parole, son silence...

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Trois jours, quarante jours, quarante années, combien de temps ? Qui saurait le dire ? Nul ne le peut, car c'est bien l'éternité qui est en jeu, c'est l'Eternité qui joue, source joyeuse à qui sait s'y abreuver, s'y des/altérer, Source Unique, Nature même de l'Etre, en chaque être, en chaque lettre.

Que ceux qui écrivent s'en souviennent, en chaque lettre, à chaque signe, Il est là, Elle est là, vibrations subtiles, harmonies divines, en chaque plein, en chaque délié, chaque hampe nous hisse si nous communions en ces mystères, arabesques orthodoxes, orthographies calligraphes, qu'Un porte! Porte, Chemin, Vie, à chaque pas, à chaque mot, à chaque Souffle!

Que ceux qui parlent et que ceux qui écoutent s'en souviennent! Souffle, ampleur, respiration du Verbe qui se fait chair, qui s'élance, qui ne craint ni hauteur, ni profondeur, ni largeur, ni épaisseur, le plein remplit toujours le vide, le vide remplit toujours le plein, ils sont deux et ils sont Un, ils ne sont jamais séparés, ils sont toujours ensemble.

Il n'y a rien à craindre, plus à craindre de perdre car rien n'est jamais perdu, à l'inspiration succède l'expiration et de l'expiration renaît l'inspiration, le Souffle demeure, le Souffle est demeure, en ce Souffle nous résidons, nous communions, et l'Esprit est ce Souffle, et l'âme est l'oiseau qui s'envole dans ce vent.

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Icare avait voulu élever son corps, mais l'âme seule peut s'élever, matière retournant à la matière, poussière, retournant à la poussière, Lumière retournant à la Lumière.

Du fond de ses eaux Icare comprenait cela, son corps se déposa sur la grève d'une île, il s'abandonna enfin au repos, la lumière nimba et caressa son corps, la paix se fit en son esprit, son coeur se mit à battre, calme, profond, unisson, pulsation Unique de l'Univers, son souffle s'unit au Souffle... Icare expira, il s'endormit...

Icare s'éveilla, il était inspiré!

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Maintenant il pouvait contempler le haut et le bas sans vertige, son ivresse était devenue sobre retenue et la volupté était là, en ce centre, ni haut ni bas, ni ténèbres ni lumière, une clarté douce qui irradiait de lui-même et ne devait plus rien au soleil

Il était un seul front et ne se laissait plus séduire par la louange ou détruire par le blâme, il reconnaissait le mensonge, ce songe qu'il avait entretenu de lui-même en lui-même.

Il ne se trompait plus, il était source et n'était plus dupe des jaillissements de l'écume qu'il avait projetés autour de lui. Centre en son île, ni elle ni lui, et elle et lui.

Il avait crevé l'écran de sa vie et le miroir du monde ne pouvait plus se briser en malédiction.

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Il était lui-même ce miroir et Cela était bénédiction. « Je suis Cela » et Cela s'accomplit. Tout cela n'avait été qu'un rêve. Il s'était échappé par les airs, il était revenu par les eaux, au centre de l'île, au centre du labyrinthe, comme Dédale, comme le Minotaure, au centre de lui-même.

Il était tout Cela et cela n'était rien, rien du Tout, Tout du Rien, Tout Un. Il était le rêveur du rêve et ce rêve était l'image de la vie même, l'image même de lui-même se rêvant, cela était Néant, né en cette Conscience qui se remplissait, débordait d' elle-même, infiniment, éternellement... Comme la cascade se nourrit de la source...

APRES LA CHUTE

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